Tunnel Vision I
Production
Jonas Van
Durant la période de semi-confinement du printemps 2020, les expositions et interventions prévues à Tunnel Tunnel ont dû être en grande partie reportées, ou annulées. À cette occasion, le collectif de programmation a entrepris la mise sur pied d’un nouveau projet, qui s’adapte à la situation incertaine que nous vivons actuellement. Plutôt qu’une invitation ponctuelle à participer à une exposition ou un événement, Tunnel Vision accompagne un·x·e artiste sur un plus long terme : co-production d’une œuvre, rencontres, présentation d’étapes de travail dans l’espace d’art. Pour la première collaboration dans le cadre de ce projet, Tunnel Tunnel a invité l’artiste Jonas Van à réaliser une œuvre.
Jonas Van est un·x artiste transviado et un·x cuisinier·x, actuellement basé·x à Genève. Sa pratique est un exercice radical de questionnement des structures du pouvoir cis-normatif, créant des écologies queer en utilisant la vidéo, l’installation et le texte. Son travail propose la monstruosité comme une narration fictionnelle et profondément intime, une fracture linguistique et sociale et une transition anti-coloniale par la perspective de la nourriture. Son projet pour Tunnel Vision comprend deux volets : Kebranto et Spelling Desire.
Kebranto
À partir du livre Visualizing the body, dans lequel l’auteure Oyèrónké Oyěwùmí analyse la centralité du sens de la vue et de l’exercice mental dans la construction de la compréhension cognitive occidentale, les artistes Jonas Van, Chienne de Garde et Juno B proposent une œuvre vidéo, sonore et performative qui remet en question la vision cartésienne de séparation du corps et de l’esprit, la neutralité des désirs, et leurs genèses politiques.
Kebranto – en portugais du Brésil – est un sortilège. Jeté à partir du regard, le sort casse l’esprit en morceaux et empêche son mouvement. Kebranto est un geste chargé de pouvoir magique, qui nous rappelle que nos corps, et l’énergie qui y habite, sont puissantes.
Kebranto est une décristallisation de la cisgénérité, qui s’opère par d’autres pactes : montagnes alpines anciennes faisant germer de petites pierres précieuses entre leurs fissures, avalanches révélant des prismes érotiques et inondant la binarité kitch, voix orchestrant la télépathie et l’autocombustion, couleur carmin rouillée dans les cratères terrestres et lunaires rêvant d’une collision extrasensorielle. Des yeux ouverts à l’infini, qui mettent en pièces la foi en les hommes cis blancs et qui salissent leurs langues coloniales.
Pour ce travail, l’artiste reprend également la figure de Boitatá – un serpent de feu de la culture folklorique brésilienne – et la complexifie: Boitatá devient le symbole de la transmutation des corps et du temps, un serpent de feu qui, en regardant les autres êtres, les modifie de manière irréversible. Kebranto sera montré sous forme d’installation vidéo et de performance à Tunnel Tunnel en juin 2021.
Spelling Desire
Que se passerait-il si les désirs n’opéraient que dans l’imprévisible ? Ou si nous comprenions la mutabilité inhérente de la nature comme sa limite non négociable ? Ou si nous considérions les sorts (‘ spells ’) comme une pratique de recommencement et de restitution ? Spelling Desire est un lieu de rencontres, de vie, d’échanges et de discussions autour des désirs anticolonialistes, qui part de l’idée que les désirs ne sont pas neutres, et que tout geste porte en lui un sort.
Développé dans le cadre de la plateforme de recherche Lastro, ce projet est une invitation – par Beatriz Lemos et Jonas Van – des artistes Castiel Vitorino Brasileiro, Cecília Floresta, Maïté Chénière, Nelson Irsapoullé, Rebecca Carapiá et Valentina D’Avenia, basé·x·e·s au Brésil et en Suisse. Spelling Desire se déroule en plusieurs temps, entre le printemps et l’automne 2021, et prend la forme d’un blog, d’un podcast – réalisé avec le soutien de Pro Helvetia Amérique du Sud et diffusé sur radio 40 –, d’une résidence et d’une publication.