Camminare la Terra image

Tunnel Tunnel invite l’artiste italien Luca Francesconi. L’exposition interroge la notion de terroir et le rythme des saisons:

Camminare la Terra

À la fois contemplative et politique, la réfléxion de l’artiste fait écho au jardin cultivé dans l’ancien guichet du lieu.

Luca Francesconi (1979, IT) vit et travaille entre Milan et Paris.

Marcher la terre

Si tu avais parcouru la terre aujourd’hui tu serais encore vivant, mais en fin de compte, tu l’étais aussi lorsque tu respirais?

Il y a des fleuves noirs. Celui qui traverse la ville est sombre de tous les morts animés, de leur petites vies, ascorbates et urines, E303 et E220, qui stagnent enfin scellés dans de petites collines artificielles, déchargées – qui espèrent que le monde les reprennent et qui confondent ce qui est caché et inerte.

Un autre chemin d’eau noire est le ruisseau qui rejoint le ventre de la terre, que toi, stupide, tu observes sourdre à l’ombre du pont. Ses eaux sombres sont pleines de poussières schisteuses, gargouillantes de diversités biotiques.

Elles formeront de nouvelles montagnes en se joignant au terrain, des nouveaux univers de terroir, uniques. Les poussières de roche ruisselantes sont chargées de puissance pour les vivants encore affamés.

Pour les connaisseurs qui savent distinguer le vin qui possède tout la verticalité de la pierre à fusil, l’insistance terreuse des cailloux par terre, de l’ignoble, grasse stupidité des vins sans acidités, fils uniquement de drageons et de tamiers.

Il y a quelques temps, lors d’une dégustation de vins de Josko Gravner, un sommelier a lu un texte de Luigi Veronelli, sur le célèbre producteur frioulan. Au sujet d’un commentaire: plusieurs années auparavant, le consortium pour la tutelle des vins autochtones, aux frontières de la Slovénie, avait exclu le producteur parce qu’il les jugeait non idoines: trop riches en couleur.

Vernonelli prétendait, précisément, que le millésime ’99 de Gravner ne fut pas admise pour l’appellation ‘Collio’ parce que tous les vins des autres producteurs n’étaient pas ‘Collio’ et que pour comprendre son vin, nous aurions dû marcher la terre.

Voici notre situation : non ne mangeons plus des Brochets, Carpes, Tanches ou Perches ‘parce qu’ils ont trop le goût de poisson’, on élève le Pangasius parce que sa chair est neutre. Nous n’acceptons plus les fromages typés, nous préférons les portions de salades prélavées. Nombreux sont ceux qui se nourrissent de viande recomposée des hamburgers.Sans avoir ‘marché la terre’ on ne peut plus manger.

Appréciant le goût de rien, obéissant aux lois lobotomisantes qui imposent des environnements de plus en plus aseptisés sous prétexte d’hygiène.

Dans une tel environnement, le vin ne peut pas fermenter, les levures et les bactéries lactiques dans le moût du vin ont besoin d’une constance biotique, une particularité que seul le temps peut pourvoir à l’environnement de la cave, en la colonisant.

Des souches de levures indigènes, pour le vin ou autres, sont responsables de la qualité du produit. En l’homologuant, en la sélectionnant en laboratoire, on détruit l’unicité, en brevetant le goût. En tuant les bactéries, on tue les personnes. En tuant les levures, en suivant des ‘protocoles sanitaires’, on normalise notre flore bactérienne, sans nous en rendre compte nous la soumettons à la loi, aux règles de l’état. La bureaucratie n’aura jamais mon intestin.

Vagabonder dans un supermarché, c’est marcher la terre.

Luca Francesconi (traduit de l’italien)