Le travail de Monika Emmanuelle Kazi identifie et détourne les éléments, les objets et les volumes d’espaces standardisés, parfois privés, pour en proposer une relecture critique et sensible. Les plateaux de jeu de Ludo, les lieux de la maison qui contiennent l’eau, l’influence de l’espace domestique sur les corps, leurs gestes, leur manière de voir et d’être au monde, le lait en poudre, les monocultures, les parpaings qui donnent leur structure aux murs et aux maisons, sont autant de sujets que sa pratique emprunte, traverse et lie. Pour son exposition à Tunnel Tunnel, Monika Emmanuelle Kazi recrée les conditions humides gardées en mémoire par la peau qu’elles imprègnent, ces conditions qui font boucler le papier-peint des murs tout autour de l’équateur, qui enveloppent les pores et les dilatent. L’eau cesse alors d’être reléguée ‘à l’arrière-plan passif de [nos] vies’ (1), comme le demande la théoricienne Astrida Neimanis, elle qui insiste sur le fait que: les corps sont d’abord des corps d’eau. Et si l’on trace une ‘politique de localisation d’une manière qui reconnaît diverses implications et responsabilités aqueuses’ alors où sommes-nous ?

Les structure-tableaux que Monika Emmanuelle Kazi installe dans l’espace d’exposition se parent momentanément des fragments de reproductions de tapisseries hollandaises qui tendent à disparaître sous l’effet de l’eau, de l’humidité, du sel, de la cristallisation dont les formes viennent rappeler des photographies de famille dont l’artiste redessine les contours au fil de son travail, les transférant d’un support à un autre. Eau, mémoire des corps et de la peau, métamorphose des composantes physiques transformées par leur environnement, sont des éléments intimement liés. Les tapisseries fragmentaires ici mues en papiers-peints citent, juxtaposent et font se déliter des ailleurs fantasmés – elles réunissent plantes, fruits, oiseaux, animaux dans un même espace tandis qu’ils n’y ont jamais coexisté – tout en racontant l’histoire d’un roi qu’on ne sait plus identifier et dont le titre historique nous dit qu’il est ‘porté par deux Maures’. L’eau s’infiltre ainsi sous cette matière et tire le fil d’une histoire qui elle aussi se délite, s’érode, est mangée par les étendues d’eau. À l’occasion de son exposition, Monika Emmanuelle Kazi adresse une invitation à Sina Oberhänsli pour l’installation de modules, fines bruines d’objets délicatement superposés rappelant la pluie et se figeant dans sa danse.

Olivia Fahmy

(1) “I hope the body of water, as figuration, will not only denaturalize the cut we make between our human waters and ecological ones, but will also ask us to pay more attention to the waters that are too often relegated to the passive backdrop of our lives.” Neimanis, A., “feminist subjectivity, watered” in Feminist Review, 2013, no 103, p. 28. Traduction de l’autrice.

Monika Emmanuelle Kazi (1991) est une artiste basée à Genève. Elle s’intéresse aux manifestations de la mémoire corporelle au sein d’espaces domestiques, au travers d’installations organiques sous forme de scénographies performatives et textuelles. Ses expositions récentes comprennent La cour des grands, Kunsthalle Friart, Fribourg (2022); Beauté na yo, Villa du Parc, Annemasse (2022); Parano Poésie, Forde, Genève (2022); Room with a view, Galerie Philipp Zollinger, Zurich (2022); Blink, Wallstreet, Fribourg (2021); Governmental Fires, Futura, Prague (2021). 

Sina Oberhänsli (1994) vit et travaille à Bâle.

Vernissage le 11.05.23 de 16:00 à 20:00
Exposition du 11.05.23 au 17.06.23
Ouverture: mercredi de 17:00 à 19:00, samedi de 11:00 à 14:00